Mars 2020
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Avant-propos : - Aucune
information ne sera donnée sur la localisation du site. *** Photographier
cette villa aura été un travail long de plusieurs mois. Pour
vous planter le décor, celle-ci est située entre mon
logement et mon lieu de travail. Ainsi, cela fait plusieurs
années que je passe devant jusqu'à ce jour de Septembre 2019
où je tombe sur un panneau annonçant sa démolition future
pour laisser place à un projet immobilier de bonne gamme.
Invisible depuis la rue, compte tenu du mur de 4 mètres
qui sépare ce grand domaine de la route, je n'avais
que les vues de Google Maps pour savoir à quoi elle
ressemblait. Mais par chance, la bulle commerciale du
promoteur s'est installée à l'intérieur même de l'habitation
et cela m'a permis, avec un peu de discrétion, de m'en
approcher à de très nombreuses reprises. Depuis
lors, j'y passerais au moins une fois par semaine pour
prendre rapidement quelques clichés et regarder l'évolution
des travaux. À vrai dire, j'ai tenté de faire les choses de manière loyale et correcte. Ce n'est pas la première fois que je visite des lieux en destruction et jusqu'à présent, chaque promoteur a toujours compris mon idée et m'a toujours autorisé à prendre des photos (mais plus rarement à les publier, chose que j'ai toujours respecté). Certains se sont même montrés intéressés par la démarche. Sauf que
dans le cas présent je suis tombé sur une personne qui n'a
absolument pas été réceptive à ma demande et s'est révélée
totalement fermée. Soit, je peux la comprendre. Mais après
quelques recherches sur son principal occupant (décédé),
j'ai pu prendre connaissance de son propriétaire, un
industriel, qui n'est pas n'importe qui et qui est même
incontournable dans certains milieux. Cela m'a motivé à
publier ce texte maintenant que la villa est détruite. Je
précise que tout a été fait avec le respect de la
déontologie propre à la pratique, une fois que le lieu a été
inhabité et sans jamais rien casser. Ce compte rendu aura donc deux objectifs. À savoir, rendre hommage à son propriétaire mais aussi garder une trace d'une partie de son patrimoine qui a été démoli au fil des ans et dont il ne reste plus rien actuellement. Les photos
que vous allez voir ont été prises entre Octobre 2019 et
Mars 2020 d'où la différence d'ensoleillement sur certains
clichés. *** Ce
qui saute aux yeux lorsque l'on entre dans le domaine, c'est
la proportion totalement ahurissante du jardin. Il ne fait
ni plus ni moins que 7000m² alors que nous sommes situés en
pleine zone urbaine. La villa, typique de la fin des années
50, comprend elle aussi de généreuses proportions et fait la
part belle aux ouvertures avec de nombreuses baies vitrées. Après avoir
passé le portail qui est ouvert pour la vente, on arrive
donc dans un périmètre qui sert au stationnement des
véhicules. Deux garages sont présents et permettent de
desservir la cave. Un accès à la villa peut se faire par la
porte principale qui est paradoxalement l'ouverture la plus
petite de l'ensemble et qui tranche avec le reste de la
construction.
Si l'on
veut se rendre dans le jardin, il faut passer un deuxième
portail, on ne badine pas avec la sécurité, le lieu est pour
ainsi dire une véritable forteresse.
Et c'est
ici que l'on peut prendre conscience de l'architecture hyper
intéressante de cette villa. Elle est divisée en plusieurs
espaces : Sur la façade sud, toutes les ouvertures sont sous
formes de voûtes qui accompagnent la toiture courbée de la
terrasse. C'est du plus bel effet en plus d'être
relativement insolite.
Sur la
gauche, il est possible d'avoir accès à un entresol qui ne
communique pas avec la maison et qui servait principalement
à faire sécher le linge à l'abri du vent. Ingénieux et
fonctionnel pour l'époque.
Avec la
vue d'ensemble, on peut prendre la mesure de l'étendue du
domaine et surtout de l'urbanisation galopante qui a
totalement métamorphosé le quartier pendant ces cinquante
dernières années et qui va passer une nouvelle étape très
prochainement. Lorsque la maison était habitée, cela
devait réellement être agréable de disposer d'un si grand
espace à seulement 15 minutes à pied du métro. Le grand
angle n'a pas suffit pour tout capturer, il ne montre que
les deux tiers.
Presque
tout est resté d'origine, y compris les stores qui
permettent de donner un charme désuet mais terriblement à la
mode à l'ensemble.
La partie
droite reprend les codes de l'habitat provençal
traditionnel. Nous le verrons, c'est un ajout un petit peu
plus récent mais il consiste principalement en une terrasse
couverte à laquelle est adossée une pièce supplémentaire qui
faisait office de bureau pour travailler au calme et isolé
du reste de l'habitation.
Et
pendant longtemps, mon set s'est arrêté là. Il était déjà
très osé de prendre des photos en plusieurs visites alors
même qu'un point de vente était actif à l'intérieur et
qu'un gardien venait surveiller le lieu lors de la
fermeture de celui-ci (testé et approuvé !).
Mais un jour, la chance a été de mon côté. Je dis mon, mais je pourrais tout à faire dire notre. En ce jour de Mars 2020, il se trouve que Josh passe de manière totalement fortuite et innocente pas loin de chez moi et nous en profitons pour boire un breuvage béni des Dieux : du Pastis. Mauresque même. Je lui avais déjà fait part, probablement à l'excès, de mon intérêt pour cette villa et il s'avère que lors de son passage, nous décidons d'aller faire un tour devant. Coup de bol, il semble possible de rentrer ! L'accès ne sera pas discret et ne durera probablement pas longtemps, d'ailleurs nous ne sommes même pas certains d'être seuls mais il est indispensable de saisir notre chance qui ne se présentera sans doute qu'une seule fois. Nous rentrons ainsi dans le domaine de manière assez voyante (impossible de faire autrement) sous le regard interloqué des passants. Nous prenons la décision de faire ça rapidement, il n'est pas impossible que quelqu'un nous prenne pour des cambrioleurs et même si la maison est sur le point d'être démolie et limite notre vergogne, nous restons malgré tout sur nos gardes. Mais quelle joie de pouvoir parcourir ces différentes pièces que j'ai bien eu le temps de fantasmer depuis des mois ! Je n'ai pas mon trépied donc toutes les photos ont été prises à main levée et beaucoup de pièces ont les volets fermées. Ainsi je ne peux pas tout mettre, mais vous aurez le principal, avec en plus, un cliché pris par Josh avec son téléphone. C'est amusant car même si la villa est relativement grande, il n'y a au final pas beaucoup de pièces (3 chambres, un salon et un bureau pour l'étage principal) mais elles sont toutes dans des dimensions assez impressionnantes. Vous noterez la petite cheminée plate ainsi que la cuisine toute en carreaux de verre (Josh). Ce n'est pas évident à voir sur les photos mais nous constatons que toutes les boiseries ont été faites sur mesures. Que ce soit l'encadrement des portes, les bibliothèques, les placards ou bien les meubles de cuisines, tout est dans la même gamme et le même matériau. Vous pouvez le voir sur cette photo également. Le fond
du salon propose une baie vitrée du plus bel effet qui
donne une vue sur la deuxième partie du domaine.
Nous nous
promenons à l'intérieur de la villa. Même si, vides, les
chambres ne sont pas très intéressantes, les salles de
bain attenantes sont très belles avec leurs carrelages
bleus et verts mais plongées dans pénombre car tous les
stores sont tirés. La hauteur sous plafond vient confirmer
la noblesse du lieu tout autant que les quelques boiseries
murales particulièrement sobres et élégantes dans
l'entrée.
Je me
dirige à présent vers le bureau à l'autre extrémité de la
villa. C'est ici que le promoteur a installé son bureau de
vente. Et à ma grande surprise, alors même que la villa
est sur le point d'être démolie, le bureau est encore
plein. Les meubles en bois sont d'origines, le reste a été
rajouté pour l'occasion. On peut observer le plafond est
en très mauvais état avec des infiltrations un peu
partout. La salle en demeure toutefois sacrément agréable.
On notera de belles
étagères.
Je prends
le temps d'aller dans le jardin pour immortaliser la
façade nord de la villa, dans un style radicalement
différent, bien plus industriel mais qui me plaît tout
autant. Le soleil étant de la partie, cela permet de
confirmer le caractère exceptionnel du parc arboré, où il
était d'ailleurs possible de s'asseoir sur un banc en béton brut
particulièrement stylé.
L'intérieur
est lui, par contre, dans un état catastrophique. On dirait
que les héritiers ont pris quelques affaires avant le rachat
de la villa par le promoteur et ont tout laissé en plan. On
trouve trois pièces en entre sol qui servaient
vraisemblablement de lieu de stockage si l'on en croit tout
ce que l'on peut trouver sur place en rapport avec
l'ancienne activité du propriétaire et son principal passe
temps (nous y reviendrons). Vous
pourrez voir une photo en cliquant sur ce lien.
Chose
étonnante, lors d'une dernière visite avant la démolition,
je réalise que ce qui était un lieu de stockage a jadis été
une piscine intérieure. C'est curieux de l'avoir supprimé.
Direction la maison de gardien qui est séparée par un autre muret. J'ai un peu du mal à comprendre ces différentes zones concrètement matérialisées et solidement hermétiques les unes des autres. L'intérieur de la maison de gardien est quelconque, donc pas de photo. Par contre, dans une des pièces on pourra trouver un grand chenil avec du matériel de pesage et quelques anciennes boites de conserves de nourritures canines. Une partie du jardin avait aussi été transformée en chenil. Maintenant
que nous avons fait le tour de la villa, prenons le temps de
regarder différents clichés à travers les décennies pour
observer les travaux qui ont été réalisés très rapidement
après sa construction. Voici une sélection de vues aériennes : 1957 Comme vous
pouvez le voir, la villa est achevée d'être construite en
1957 au sein d'un domaine
où se trouvait initialement un château. Seule la
maison à l'entrée était présente et faisait donc office de
maison de gardien pour le château. Lors de son
édification le plan cadastral de la villa a donc englobé une
partie du domaine ainsi que ladite maison. L'entrée du
château se faisant dorénavant par le nord de la villa qui a
été construite à l'extrémité nord ouest de la parcelle,
adossée contre un mur de délimitation. On remarquera
qu’initialement, il y avait un bassin d'agrément qui
apportait une touche très toscane à la villa qui est pour sa
part tend résolument vers un style moderniste. Dès 1966, soit moins de 10 ans après sa construction, le bassin est supprimé et la parcelle cadastrale de la villa est agrandie pour occuper tout le terrain du château la plaçant ainsi au centre du domaine. L'entrée du château se fait dès lors par une autre rue. Cette configuration est toujours d'actualité aujourd'hui. Je vous mets un petit comparatif avec une superposition des deux périodes : avant - après. En gris, vous trouverez la partie qui a été rajoutée donnant ainsi à l'édifice une dimension néo provençale. D'aucuns pourraient considérer que c'est dommage d'avoir supprimé le bassin d'agrément. La raison est sans doute liée au coût de l'entretien mais c'est plutôt triste d'avoir sacrifié cet élément esthétique. Les
différents murs d'enceintes font que cette villa est presque fortifiée. Comme
vous avez pu le voir en amont, il est nécessaire de passer
au moins deux portails pour se rendre dans le jardin ou pour
communiquer avec la maison de gardien.
Pendant plusieurs mois, j'ai cherché sans relâche l'identité du propriétaire. Dans un premier temps, j'ai pu constater via le site societe.com qu'une SCI était enregistrée à cette adresse. En commandant le procès verbal de l'assemblée générale moyennant une petite dizaine d'euros, j'ai pu obtenir le nom d'un couple de propriétaires. Une fois le nom en poche, une rapide recherche sur internet avec le nom de la femme du propriétaire ainsi que l'adresse de la villa m'a permis de découvrir qu'un brevet avait été déposé à cette adresse. Et pas n'importe lequel. Il s'agit d'un brevet attestant de la propriété intellectuelle d'une police de caractères incontournable depuis les années 50 et utilisée dans le monde entier. C'est une bonne surprise ! Je savais que le propriétaire de cette fonderie typographie habitait ma ville et que son usine avait été détruite au profit d'un projet immobilier lambda. Mais c'est surprenant que sa villa subisse le même sort dans l'indifférence la plus totale alors que des ouvrages, des émissions et des groupes Facebook sont consacrés à un travail qu'il a pu mener en collaboration avec un artiste de renom (qui lui est passé dans la postérité). Le propriétaire
Très
rapidement, les deux acolytes se font un nom dans la
typographie publicitaire qui permet une plus grande liberté
par rapport à la typographie traditionnelle. La publicité,
ce n’est évidemment pas seulement l’affiche ou l’annonce,
c’est aussi l’emballage, la brochure, le dépliant, la revue
et bien évidemment, les façades commerciales. Elle prend des
formes multiples, elle est partout et aujourd'hui encore,
vous pourrez retrouver des polices d'écritures créées par
cette fonderie au sein de nombreuses enseignes ou même au
sein d'entreprises à dimension internationales. Je suis
persuadé qu'à une échelle plus locale, vous êtes tous déjà
tombé sur cette typo face à un commerce de bouche ou un
restaurant asiatique : Façades trouvées sur internet
Durant de nombreuses années, la fonderie va faire en sorte d'avoir des espaces publicitaires dans les principales revues consacrées à cet art. Ce plan media est remarquable car il lui permet de créer un rendez-vous régulier avec les lecteurs, de simplifier le discours et de diffuser l’actualité de la société : annoncer la création d’un nouveau caractère, une présence sur un salon professionnel, un partenariat ; entretenir un discours commercial, participer aux vœux de nouvel an, etc. Ceci représente un investissement financier important mais étant dans un cercle vertueux, la société peut perdurer plusieurs décennies avec ce fonctionnement au détriment de ses concurrents. Vous l'aurez reconnu, il
s'agit encore et toujours de notre propriétaire
Fin des
années 1970, la société est rachetée par l'un des ténor
américain du domaine. Le principal graphiste, devenu culte
aujourd'hui, décède au début des années 80. Mais ce cher propriétaire n'était pas seulement un industriel visionnaire. Il était également cynophile convaincu et a eu la direction de plusieurs sociétés canines, principalement tournées vers les Bergers Allemands. Cette information permet de faire le lien avec le grand chenil installé du côté de la maison de gardien ! Mieux, il est responsable d'une lignée qui perdure encore à ce jour et lorsque l'on creuse un peu, celle-ci est liée à un élevage qu'il a pu créer de toutes pièces et qui nous permet probablement de découvrir le nom de la villa ! Je n'ai pas
la date exacte de son décès, toutefois, si l'on en croit la
date de clôture de la société associée à l'adresse postale
de la villa, cela daterait de 1990. Cet encart
que j'ai pu me procurer, même s'il est non daté, confirme
qu'il s'en est allé, tout comme le rapport de la SCI daté de
2006 que je m'étais procuré qui indique que sa femme est
veuve. Il est intéressant de noter qu'il demeure plus connu pour ses activités cynophiles que pour sa fonderie. Son usine ayant été démolie dans les années 80, c'est aujourd'hui sa villa dont il était propriétaire depuis 1956. La vie de son acolyte, véritable dandy sudiste est très documentée mais notre cher ami est parti de manière anonyme. Un seul ouvrage lui est en partie consacré mais il n'est plus trouvable en librairie à l'heure actuelle car tiré en nombre ultra limité. Un exemplaire est encore présent dans une bibliothèque municipale qui aura ma visite prochainement. Affaire à suivre, mais je compte bien lui rendre hommage car c'est ce type de visites et de recherches qui donne tout son sens à la démarche. Avec toutes
les informations qui se trouvent dans le compte rendu, vous
découvrirez sans doute son nom. C'est voulu et c'est une
manière de perpétuer sa mémoire et son travail et de le
faire briller une dernière fois. Maintenant,
puisse le ciel s'imprimer de son aura et de son ultime éclat
! *** |